Désarroi

« Lundi, j’ai essayé de me suicider au collège. »

Elle a dit ça, comme elle aurait dit « lundi, j’ai mangé des nouilles à la cantine », avec détachement, d’une voix blanche, en pensant déjà à autre chose.

Elle a dit ça, juste après « cette après-midi on a trop rigolé avec mon meilleur ami » et juste avant « la semaine prochaine, je vais… »

« Non, mais, ça va pas non !!! »

C’est sorti tout seul. Avant même que mon cerveau n’ait eu le temps de réaliser quoi que ce soit, c’est sorti tout seul ! Sans prévenir. Tel un simple réflexe.

« On dirait trop ma mère ! Elle a dit exactement pareil !! » me répond-t-elle l’air déçue.

« … »

Que dire ?

D’autant qu’elle est déjà partie sur autre chose.

« Mais hum… pourquoi est-ce que tu… ? »

Évidement, point de réponse claire à une telle question. Ça se saurait s’il suffisait d’un pourquoi…

« Je sais pas… j’en ai marre de tout ça. »

Petit à petit, elle m’en dira un peu plus. Et en même temps, pas vraiment. Je ne suis même pas sûre qu’elle sache vraiment pourquoi. Je le vois bien qu’elle se débat avec cette adolescence qui s’annonce difficile. Je le vois dans ses yeux. Cette tristesse, cette fatigue… la voilà perdue.

« C’est parce que je traîne trop avec cette fille… depuis que je traîne avec elle, je ne suis plus comme avant… c’est ma mère qui l’a compris… » me dira-t-elle plus tard, d’une voix fluette, étonnement mal assurée.

Perdue.

À 14 ans, ma petite collégienne se réveille dans une pièce sombre, coincée entre deux portes. Derrière l’une d’elle, l’enfant que tout un chacun appréciait hier encore. Derrière l’autre, une femme aux contours flous, une inconnue pour elle-même, pour sa mère, pour son père, pour ses profs…

Elle est dépassée sa mère. Elle l’aime sa fille… mais elle n’est pas prête - encore - à apprendre à la connaître.

Ce soir-là, en regardant s’éloigner ma jeune collégienne, je me sens seule. Subitement. Je n’ai pas la sensation d’avoir su trouver les mots.

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