Le train des souvenirs (1/2)

Ma tante est venue nous rendre visite le week-end dernier. Le texte qui suit illustre son retour chez elle, tel que je l’imagine.

Bercée par le mouvement régulier du train, A. regarde la gare s’éloigner doucement. Par la fenêtre, elle contemple le défilé de tags qui recouvrent les murs ; de grands murs, à l’intérieur desquels est emprisonnée la voie ferrée. Bientôt, ces murs s’effaceront, cédant leur place aux grandes étendues vertes et jaunes qui entourent la ville. Ensuite, la présence de cette ville s’effacera, emportant avec elle le frère qui vit là et laissant ainsi plus de place à la solitude de cette nouvelle vie.

Entre deux sièges, A. devine la présence d’une dame qui pourrait bien avoir son âge. Il y a quelque temps, A. se serrait peut-être levée pour aller discuter. Mais aujourd’hui, elle n’en a pas très envie. Détournant son regard, elle ne peut s’empêcher de s’interroger : se dirige-t-elle, elle aussi, vers une maison animée des seuls sons de la télévision et des bruits feutrés provenant des appartements voisins ? Se couchera-t-elle, elle aussi, seule dans un grand lit froid, ce soir ?

A. se souvient des premiers mois qui ont suivi… Ces mois entiers sans pouvoir dormir, réfugiée dans l’autre chambre, de l’autre côté du couloir. Des nuits entières à scruter les bruits de la nuit. Ses premières nuits de solitude en 44 ans… Aujourd’hui, quand elle en parle, A. laisse échapper un « peur de quoi ? je ne le sais même pas ! » Mais au fond tout le monde le sait. Tout le monde sait que la nuit les démons se réveillent, et qu’à cet instant ses démons lui chuchotaient doucement sa vie future, sa vie sans son mari, sa vie sans l’amour de sa vie. Cette nouvelle vie qui a commencé quelques jours après l’enterrement, quand elle est rentré chez elle, dans sa maison désormais trop vide… il y a quatre ans… déjà.

Consciente que son regard s’est embué, A. bouge un peu. Elle reprend possession du présent et renoue avec la rythmique régulière du train, avec le paysage qui défile et la pluie qui tape contre la vitre. Elle connait bien cette ambiance particulière des trains : leur bruit, le mouvement qu’ils donnent au corps des passagers. Ce sont des sensations qui sont, depuis longtemps maintenant, bien ancrées en elle. Depuis ce fameux voyage en train, avec sa mère. Elle ne se souvient plus bien du pourquoi ou du vers où, mais elle se souvient bien de l’odeur de la transpiration et de la peur qui se mélangeaient au chant régulier des rails. Des jours entiers, terrée dans un wagon de marchandises, blottie dans les bras de cette mère qui emmenait sa fille le plus loin possible de l’occupation allemande.

La suite très bientôt…

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