Couleur « gris printemps »

Avez-vous remarqué comme, parfois, la vie se colore en gris. Comme ça, presque subitement. Un jour, on ferme les yeux sur une journée plutôt bonne ou simplement ordinaire, et le lendemain on se lève dans un univers monochrome. Tout est devenu gris : un peu de gris foncé, un peu de gris clair, et surtout, beaucoup de gris gris.

Souvent, à bien y repenser, on se rend compte que le bulletin météo avait bien annoncé quelques perturbations. Le repas du soir avait eu moins de goût, le lit avait semblé moins accueillant, la journée à venir bien trop chargée. Mais, on n’y avait pas prêté attention.

Pour moi, le gris est là depuis quelques jours déjà. Il a annoncé son arrivée au retour d’une soirée. Une soirée très agréable, qui n’eut que l’inconvénient d’être une soirée professionnelle. Autrement dit, une soirée où l’on rencontre un tas de gens très gentils, que l’on aime bien, mais qui ne sont pour autant pas des amis. Sur le chemin du retour, ma satisfaction d’avoir passé une bonne soirée c’est peu à peu dissipée. Le coupable : la douceur de l’air.

Je me souviens bien de cet instant ; subitement, la journée du lendemain m’a parue trop… enfin, pas très…

Ainsi, depuis quelques jours, mon bureau - installé dans une des pièces de mon appartement - me semble bien loin du monde. Mes repas solitaires me laissent comme un poids sur l’estomac. L’aventure de la création d’entreprise prend des couleurs de « ça me marchera jamais ! » Rien ne va plus, et plus les jours passent et moins j’en vois le bout.

Pourtant, aussi déprimantes que soient ces périodes grises, je me demande tout de même si elles ne sont pas un mal nécessaire. Si tout était toujours bleu turquoise, continuerait-on à évoluer ? Chercherait-on l’amélioration ? Enfermée depuis plusieurs mois dans un emploi du temps surchargé, je ne m’étais même pas rendue compte que l’hiver avait pris fin. Dans mon sursaut, j’ai pris conscience que ma vie personnelle n’apprécie pas sa toute nouvelle place : au fond d’un joli placard doré ! Je me rends compte aussi à quel point mon compte en banque crie famine et de l’imperfection du modèle économique de notre entreprise en devenir.

En plus, le fait d’avoir le cul vissé sur ma chaise de bureau ne me donne pas vraiment la silhouette adéquate pour l’incontournable maillot de bain de l’été … oui, enfin, en même temps je n’ai pas de maillot de bain digne de ce nom, et pas non plus de quoi m’en acheter un… et puis… bon, la mer chez moi, on a pas ça ; et, vu l’état de mon compte bancaire, les vacances à la plage ce sera pas encore pour cette année… Oh, et puis, moi, fille des temps modernes, je n’ai pas acheté de vêtement depuis… depuis… Aaahhhhh !!!! Le mois de septembre : ce qui fait 8 mois !

Gris, je vous dis. En ce moment, le monde est gris.

Le train des souvenirs (2/2)

Ma tante est venue nous rendre visite le week-end dernier. Voici la suite du texte qui illustre son retour chez elle, tel que je l’imagine.

Glissant d’un souvenir à l’autre, A. revoit cette mère lui présenter l’homme. C’était quelques mois après la fin de la guerre. L’homme se tenait là, debout, dans sa cuisine. Avec une expression bizarre, sa mère lui a expliqué que cet homme était son père, qu’aujourd’hui il était revenu de la guerre et qu’il allait dorénavant vivre avec elles. C’était étrange, cet inconnu qui débarquait dans sa vie. Plus tard, sa mère lui avait expliqué que pour elle aussi la situation était étrange : ils s’étaient rencontrés et mariés très peu de temps avant son départ pour le front. Puis il y avait eu la guerre. La mère avait appris un jour que l’homme avait été fait prisonnier. Depuis, elle n’avait plus eu de nouvelles. Alors, son retour… le retour à la maison, d’un homme à peine connu et revenu changé par la guerre… pour elle aussi, la situation était étrange.

Ensuite, il y avait eu le petit frère. Puis, des années plus tard, l’homme de ses rêves était entré dans sa vie. Dès cette époque, il lui raconta son vécu de soldat durant la guerre d’Algérie et son enfance bercée d’histoire de maquis et de résistance contre l’occupation allemande. À partir de cet instant, la présence de cet homme a toujours été pour elle synonyme de bonheur. Oh ! Bien sûr, ils ont connu les coups de gueule et les ras le bol. Mais, au fond, en 44 ans de mariage, cet homme n’a jamais cessé d’être celui sur qui elle pourrait toujours compter. Celui qui, aujourd’hui, n’est plus là qu’à travers quelques photos et ses affaires qui dorment dans les placards de la maison.

Parfois, A. se demande à quel point sa vie aurait été différente, si elle avait accepté de s’exiler en Australie. Son mari n’aurait alors pas travailler toute sa vie dans une usine bourrée d’amiante. Peut-être n’aurait-il pas eu tous ses problèmes de santé, ce cancer… Peut-être serait-il encore là, auprès d’elle… Oui, peut-être…Mais, elle n’avait pas voulu ; l’Australie, cela lui semblait tellement loin. Loin de ses parents, loin de sa famille, loin de tout ce qu’elle connaissait dans ce monde. Et elle ? S’ils étaient partis vivre en Australie, aurait-elle eu à subir ces opérations ? Aurait-elle eu à vivre cette satanée chimio, les heures qu’elle a passées assise à côté des toilettes ou au fond de son lit ? Et le souvenir infâme et indélébile du goût de la bille sur tous les aliments ? Les choses se seraient-elle déroulées autrement si… ?

Le changement de rythme du train rappelle A. de nouveau dans cette réalité. À cet instant, elle se rend compte qu’elle sait : elle sait qu’en descendant de ce train, elle retrouvera ses filles, ses petits-enfants et son arrière petit-fils. Elle sait aussi que demain elle retrouvera ses copines du club, et cet homme qui lui court après depuis quelques temps. Elle sait, encore, qu’elle a devant elle de vrais instants de bonheur. Mais, ce qu’elle sait surtout, c’est qu’elle ne pourra jamais plus les partager avec Lui.

« Bonjour, maman. Ton voyage c’est bien passé ? » « Oui, ma fille. Tu sais, je suis capable de me débrouiller toute seule ! »

Le train des souvenirs (1/2)

Ma tante est venue nous rendre visite le week-end dernier. Le texte qui suit illustre son retour chez elle, tel que je l’imagine.

Bercée par le mouvement régulier du train, A. regarde la gare s’éloigner doucement. Par la fenêtre, elle contemple le défilé de tags qui recouvrent les murs ; de grands murs, à l’intérieur desquels est emprisonnée la voie ferrée. Bientôt, ces murs s’effaceront, cédant leur place aux grandes étendues vertes et jaunes qui entourent la ville. Ensuite, la présence de cette ville s’effacera, emportant avec elle le frère qui vit là et laissant ainsi plus de place à la solitude de cette nouvelle vie.

Entre deux sièges, A. devine la présence d’une dame qui pourrait bien avoir son âge. Il y a quelque temps, A. se serrait peut-être levée pour aller discuter. Mais aujourd’hui, elle n’en a pas très envie. Détournant son regard, elle ne peut s’empêcher de s’interroger : se dirige-t-elle, elle aussi, vers une maison animée des seuls sons de la télévision et des bruits feutrés provenant des appartements voisins ? Se couchera-t-elle, elle aussi, seule dans un grand lit froid, ce soir ?

A. se souvient des premiers mois qui ont suivi… Ces mois entiers sans pouvoir dormir, réfugiée dans l’autre chambre, de l’autre côté du couloir. Des nuits entières à scruter les bruits de la nuit. Ses premières nuits de solitude en 44 ans… Aujourd’hui, quand elle en parle, A. laisse échapper un « peur de quoi ? je ne le sais même pas ! » Mais au fond tout le monde le sait. Tout le monde sait que la nuit les démons se réveillent, et qu’à cet instant ses démons lui chuchotaient doucement sa vie future, sa vie sans son mari, sa vie sans l’amour de sa vie. Cette nouvelle vie qui a commencé quelques jours après l’enterrement, quand elle est rentré chez elle, dans sa maison désormais trop vide… il y a quatre ans… déjà.

Consciente que son regard s’est embué, A. bouge un peu. Elle reprend possession du présent et renoue avec la rythmique régulière du train, avec le paysage qui défile et la pluie qui tape contre la vitre. Elle connait bien cette ambiance particulière des trains : leur bruit, le mouvement qu’ils donnent au corps des passagers. Ce sont des sensations qui sont, depuis longtemps maintenant, bien ancrées en elle. Depuis ce fameux voyage en train, avec sa mère. Elle ne se souvient plus bien du pourquoi ou du vers où, mais elle se souvient bien de l’odeur de la transpiration et de la peur qui se mélangeaient au chant régulier des rails. Des jours entiers, terrée dans un wagon de marchandises, blottie dans les bras de cette mère qui emmenait sa fille le plus loin possible de l’occupation allemande.

La suite très bientôt…

Dimanche

Aujourd’hui, c’est dimanche. Jour béni des dieux et de leurs hommes, proclamé jour de repos universel (oui, enfin… !? ). Engluée dans l’ambiance de cette journée paisible, je regarde mes poissons tourner dans leur aquarium. Le léger mouvement des plantes, combiné au chassé-croisé des poissons, ont un effet hypnotique. A lui tout seul, cet aquarium affirme haut et fort qu’aujourd’hui, nous sommes dimanche. Jour de calme plat. Jour de tranquillité absolue.

En tournant la tête, je croise le regard de mon chat. Ses petits yeux verts me regardent vaguement. Montrant son désintérêt total pour moi, comme pour le monde entier, ce jeune chat ne réagit pas au contact de ma main. Il se lèche un peu la patte, quelques secondes à peine. Il baille… oui, cela ne fait aucun doute. Pour lui aussi ce jour est dédié à la contemplation du néant.

Notre dimanche s’étire ainsi doucement, dans la tranquillité du printemps qui bourgeonne. Et moi ? Je n’arrive pas à décider si je suis bien, ou si je m’ennuie profondément. Peut-être que finalement les deux sont liés. Peut-être que la magie du dimanche ne peut réellement s’opérer que pour ceux qui ont tout le loisir de se dire : « aujourd’hui, c’est dimanche. Aujourd’hui, je n’ai rien de particulier à faire. »

Je reste ainsi, perdue dans mes réflexions dominicales. Pourtant, du coin de l’œil, plus surement qu’un aimant, il attire mon attention. Symbole de mes jours tumultueux, porte-parole de journées sans fin, mon agenda me regarde fixement. Posé sur une pile de documents divers en attente de rangement, il me présente l’intérieur de ses pages sans aucune retenue. Des pages noircies de tous ces rendez-vous pris ou à prendre, de ces multiples coups de téléphone plus ou moins prévisibles, de cette infinité de réunions en tout genre… mon agenda expose ses pages à qui veut les voir, sans aucune pudeur. Il s’affiche avec une parfaite effronterie.

Peut-être devrai-je prendre l’habitude de le ranger ? Ouais… De toute façon, demain on est lundi. Un lundi, qui pour une fois, s’écrit comme un dimanche. Alors, mon ami, tes pages noircies, tu peux continuer à les exhiber autant que tu veux. Moi, la seule chose que j’y vois, c’est que demain, nous serons encore dimanche !

Papier Buvard

L’écriture prend parfois la forme d’une bouée, un repère au milieu des vagues, un soutien. Au milieu de l’agitation du monde, l’écriture a cette particularité de forcer le temps. Le temps de trouver les mots. Le temps de réécrire chaque phrase. Le temps d’arrêter le temps et de retrouver les repères égarés.

L’écriture endosse aussi parfois le rôle d’un moteur : coucher des sensations, des images ou des pensées sur le papier permet de s’en défaire et de les laisser filer. Libéré de son vécu, celui qui tient la plume peut alors passer à autre chose, envisager un avenir plus léger. Et, même si cette sensation d’avoir déposer de lourds bagages ne dure pas… le soulagement fut réel.

Un jour, l’écriture m’a envahie. Elle ne m’a plus quittée. Et comme il me parait étrange d’écrire sans être lue, j’ai décidé de le faire dans un blog.